[Nylon Ganbare] Numéro 3

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Nylon Ganbare

Il existe un club de football japonais particulièrement intéressant. Un club qui n’a jamais compté sur ses résultats pour se faire un nom. Un club qui connaît un peu trop les affres de la relégation. Un club qui remonte d’ailleurs en première division pour la saison 2013. Si vous pensez à Kofu, vous avez tout faux : ils n’ont rien de particulièrement intéressant. Il s’agit de Shonan Bellmare. Ce club tient son nom du latin bellum mare, « belle mère » en français, ce qui explique son côté familial sans égal. On aurait pourtant pu croire que son nom lui vint de la capacité à vendre des tas de trucs complètement différents d’année en année pour un prix à faire s’arrêter toutes les pendules. C’est d’ailleurs cette caractéristique que Nylon Ganbare, la rubrique loin des yeux, près du corps, va développer aujourd’hui. Soyez sûrs qu’avec Shonan, le changement c’est tout le temps.

Prototype n°8 pour fidéliser le public (en arrière-plan, le prototype n°2).

Le club de Shonan est historiquement identifiable par l’association de deux couleurs : le vert clair et le bleu roi. Comme quoi, déjà, à la base, ça démarre mal. Le fait que ses uniformes soient complètement différents chaque saison qui se présente à lui vient du fait, particulièrement intéressant s’il en est, que ces deux couleurs n’ont pas de hiérarchie à proprement parler, ce qui lui fait un point commun avec le Bayern Munich. C’est d’ailleurs le seul. Ne vous embêtez pas, j’ai cherché. Si on observe un moment le drapeau officiel du club, on constate que le même phénomène se produit. On peut donc immédiatement en conclure qu’ils le font exprès. Passons à présent en revue tous les subterfuges utilisés par ce club particulièrement intéressant pour imprégner dans l’esprit de ses supporters que le replica -si vous ne savez pas ce que c’est, c’est que vous n’avez pas lu le numéro précédent, alors allez-y- qu’ils ont acheté un an auparavant est totalement has been (cette expression-là ne sera pas traitée dans Nylon Ganbare, même lorsqu’on parlera des Flügels). Bon, c’est paletot mais il y a du pain sur la planche.

Tout a commencé par une matinée printanière de 1994. Un samedi, il me semble. La journée s’annonçait bien, les clubs allaient entamer leur second championnat en tant que professionnels, le public était aux anges, il y avait même du soleil (je le sais, j’y étais). Bref, c’était absolument divin. Et puis l’équipe de Bellmare Hiratsuka est entrée sur la pelouse. A la limite, ce n’est pas entièrement de leur faute : tous les maillots de la ligue étaient brillants comme ça car tous fabriqués à la volée par Mizuno. Ça, d’accord. Mais sur le travail des designers, ils auraient pu avoir leur mot à dire. Si ça se trouve, ils l’ont même approuvé, allez savoir. Le vert est délavé. Il y a deux teintes de vert en réalité, mais les deux ont l’air délavées, dont l’une tirant carrément vers le jaune pâle. Ce n’est pas un effet de la corrosion, c’était déjà comme ça à l’époque. Quant à tous ces petits losanges si proprement alignés sur toute la surface du maillot, vous pouvez vous dire que 1994, ça commence à faire loin, c’était peut-être la mode à cette époque, on ne sait plus très bien. Non. En 1994, il était interdit de s’habiller comme cela. Ou alors ça aurait dû. C’est l’un ou l’autre.

Avec un short bleu et des chaussettes vertes, Bellmare avait posé la première pierre de son histoire chromatique tarabiscotée et obligé les supporters à acheter cette horreur, faute d’alternative. Il semblait clair que le vert était à l’honneur (façon de parler, à sa place j’aurais porté plainte) et que le bleu servait d’accompagnement. En 1997 et après trois années insoutenables, Mizuno doit faire face à la concurrence et abandonner de nombreuses équipes. Malheureusement, pas Bellmare. Mais il est quand-même visible que la compagnie japonaise a besoin de travailler : ils créent de nouveaux uniformes pour le club, ce qui était alors aussi probable que de voir Bernard Diomède gagner une Coupe du Monde. Non seulement Bellmare Hiratsuka passe aux rayures mais l’équipementier, qui voulait vraiment se persuader d’avoir du travail, a inclus des rayures dans les rayures, imaginez le labeur que ça représente. D’après un employé de l’époque qui souhaite garder l’anonymat, le gros logo central en surimpression est passé en heures supp’. Pour un premier changement, le subterfuge est simple : passer d’un modèle monochrome -si on peut voir ça comme ça- à un modèle bicolore. Pour le coup, la hiérarchie est bouleversée car le short reste bleu, ce qui, malgré des chaussettes toujours aussi vertes, contrebalance l’équilibre et tend à montrer le bleu comme couleur dominante sur l’ensemble. Pour les supporters, que de changements à observer d’un coup ! Par contre, ça brille toujours autant sous la lumière et ils peuvent trouver là un point commun avec le premier modèle, la stratégie reste à parfaire.

Au yeux de certains, ce maillot devenait plus beau lorsque Hidetoshi Nakata jouait dedans. C’est d’ailleurs ce pouvoir qui lui a valu d’être appelé pour la Coupe du Monde en 1998 et pas son niveau de jeu somme toute quelconque. Il faut dire que c’était réellement impressionnant. Cette anecdote est offerte gratuitement, on est comme ça, à Nylon Ganbare, que voulez-vous.

En 1999, c’est un changement de contrat qui s’opère et une marque italienne pleine d’avenir (jusqu’en 2002, après c’est le néant), à savoir Kappa, prend les opérations en charge. Tout ceci est particulièrement intéressant, je le concède, mais le résultat n’est pas à la hauteur des espérances en ce qui concerne la problématique évoquée ici. Les rayures sont conservées, le maillot est toujours bicolore, le vert a toujours un peu plus de place sur celui-ci mais le short est toujours bleu, l’équilibre reste le même malgré l’épaississement des-dites rayures. Pour être tout à fait honnête, Kappa équipait déjà le club pour les coupes nationales, avec un modèle similaire mais d’une autre couleur. Alors quels sont les signaux hypnotiques ordonnant aux supporters d’en faire l’acquisition ? Déjà, pour ceux qui hésitaient avant, le fait que l’équipe joue avec toutes les semaines et pas seulement trois ou quatre fois par an. Ensuite, il partage la même coupe et le même col que la Juventus. Enfin, il utilise un tissu plus mat, comme la plupart des pays de la Coupe du Monde 1998. Tels sont les facteurs rendant désuet le précédent modèle. Là encore, on a vu plus efficace. Mais la hiérarchie des couleurs est toujours aussi floue et a donc du potentiel, ça rassure pour la suite.

En 2000, le club balance son joker. A la suite de quoi on lui en ressert un autre. Cette fois, il le consomme : un changement de nom. Voilà le subterfuge qui ne vieillit pas et qui se montre toujours aussi efficace. La J.League autorisant à étendre un peu plus le territoire utilisé dans la dénomination des clubs, celui-ci se fera désormais appeler Shonan Bellmare. Et là, rien que ça, ça provoque chez les fans l’insupportable démangeaison qu’est la nécessité de se mettre à jour. Sauf ceux qui estiment être des vrais, des durs, qui pensent que Bellmare Hiratsuka est et restera le vrai nom du club. Mais je n’ai pas eu vent de l’existence de ce genre d’individu par là-bas. Le club a eu la présence d’esprit de demander à Kappa de mettre à jour le blason sur le maillot. Heureusement, parce que sinon, c’est le même qu’avant. Le bleu est peut-être légèrement plus foncé mais il se peut que ça soit juste un effet de lumière. Bref, le joker est consommé mais doucement, on en garde visiblement sous la semelle.

Et là, badaboum, si je puis me permettre l’usage de cette expression triviale. Kappa reste aux commandes la saison suivante mais décide de lancer son opération « lycra », le point de non-retour se situant aux alentours de 2002. Aaaah, cette période « lycra »… dans laquelle nous nous trouvons toujours, si besoin est de le rappeler. Le maillot redevient uni et, pour la première fois, complètement bleu. Le col est vert, quand-même, mais cette couleur est devenue secondaire au point de ne même plus figurer sur le short, qui lui est blanc ! Pas de trace de vert à l’extérieur non plus. Alors là, permettez-moi d’émettre une affirmation qui peut sembler présomptueuse mais les subterfuges sont un peu gros : nouvelle matière pour une nouvelle silhouette terriblement fashion (les Japonais n’ont pas trop de problèmes de bière), changement de type de motif, et renversement complet de la hiérarchie chromatique depuis la création du club. C’est gros mais ça marche. Pendant au moins un an. Après la deuxième saison consécutive à porter ce bleu de travail moulant, le club va aller voir ailleurs.

En 2003, Puma prend le relais et reste dans une certaine innovation. Shonan va jouer avec le maillot du Cameroun, le célèbre maillot sans manches avec des manches. En dehors de cette vraie fausse innovation complètement bashée par la FIFA, les autres changements sont légers, en tout cas sur le maillot domicile : le vert reprend un peu du galon (mais ce n’est pas encore ça) et le short est toujours blanc. La coupe est plus ample tout en restant élégante, ça peut servir de compromis à ceux qui n’aimaient pas la seconde peau des années précédentes. Le vrai changement vient du maillot extérieur puisqu’il présente le même design, avec des couleurs inversées ! Le vert est donc à nouveau à l’honneur sur cette version. Ça donne le choix et confirme qu’aucune des deux couleurs ne peut réellement prétendre à une place de titulaire indiscutable. Techniquement, le bleu reste la première couleur pour cette fois. L’année suivante, c’est la même. Seul le sponsor change mais ça ne suffit pas pour revendre le tout. Le club n’est pas encore au meilleur de sa forme.

Quand c’est trop, c’est trop Piko !

Pour 2005 et 2006, l’équipementier change encore et c’est aux Hawaïens de Piko, spécialistes du surf (!), de jouer mais le principe reste : un maillot bleu avec un peu de vert, un short blanc, des chaussettes bleues. A l’extérieur aussi, le schéma de couleurs reste le même, à dominante verte. Seuls le changement de design, d’équipementier et de sponsor peuvent justifier un nouvel achat. Aussi, le fait que le même uniforme soit utilisé deux ans est devenu une habitude. Un peu maigre. D’ailleurs, ce schéma est resté pour un total de quatre années, c’est le record depuis les débuts de l’équipe en J.League.

Mais en 2007, on sent que Shonan Bellmare donne tout ce qu’il a et a vraiment compris les enjeux de l’absence particulièrement intéressante d’ordre naturel dans ses couleurs. A-Line, autre marque japonaise, débarque et va se révéler comme étant un champion toutes catégories du changement commercial. D’abord par un maillot qui tranche, avec deux moitiés symétriques, une verte, une bleue. L’équilibre des couleurs revient, le vert redevient d’importance égale au bleu (ou presque, le dos est tout bleu et le short aussi). En 2008, le bleu reprend l’avantage, le vert prend la forme de bandes horizontales épaisses. En 2009, le vert a bavé et se retrouve tout en bas du maillot ainsi que sur les manches. Le short reste bleu. En 2010, le vert redevient la couleur dominante, y compris sur le short. On note également le retour des rayures. Je ne sais pas vous mais j’ai du mal à suivre. Heureusement, on ne devra supporter A-Line qu’un an de plus. Par contre, ils ont une de ces façons de dire au revoir… En 2011, le vert reste dominant sur le short mais sur le maillot, l’équilibre est parfait, le maillot est coupé en deux par une diagonale digne de Grace Kelly. Si la forêt de Sherwood avait été localisée à Monaco, Robin aurait pu porter ce maillot : la coupe est mal fichue, le col, qui est resté quasiment le même pendant toute la durée du contrat, a un côté « tunique », c’est un haillon. Il aura fait pleurer des supporters et rire les autres. L’équilibre est parfait. Bon, malgré ce retour à l’équilibre et au changement de design, il n’a pas donné envie aux gens de l’acheter. Nylon Ganbare n’a aucun chiffre mais c’est une certitude.

Prototype n°347 pour accroître les ventes.

Du coup, le énième passage de témoin, cette fois à Penalty, est attendu comme une bouffée d’air frais. Pour la saison 2012, l’uniforme est clairement à dominante verte, le bleu est complètement relégué au statut de couleur secondaire, le design n’a rien d’exceptionnel dans le milieu du football mais est plus subtil qu’avant (ce n’est pas dur), la coupe est assez sommaire mais au moins ce n’est plus A-Line et ça c’est génial ! Largement de quoi donner envie de mettre à jour sa tenue pour aller au stade (tout pour se débarrasser de A-Line, tout !). Comme vous avez pu le constater, les différents critères des uniformes de Shonan Bellmare, tels que la marque, le type de motif, la couleur dominante, le type de coupe ou encore la qualité des matériaux, changent tout le temps. Autant de combinaisons potentielles pouvant provoquer une modification telle qu’un nouvel uniforme n’ait absolument rien à voir avec le précédent, tout en restant de façon évidente un uniforme de Shonan. Et ça, seul ce club sait le faire. Voici un petit tableau résumé du propos :

Oui, j’aurais pu mettre ce résumé dès le début mais ça n’aurait pas été aussi drôle. Les gens qui ont directement lu le résumé sont des rusés, j’aime ça, j’aime ça. Tout ça pour dire que bon, quand même, quels escrocs à Shonan…

Le mot du jour : AUTHENTIQUE

Vous savez certainement que cet adjectif définit en temps normal quelque chose qui provient bien du fabricant revendiqué, si on peut dire. Et bien les acteurs du monde particulièrement intéressant qu’est le textile à usage sportif (qui se croient certainement plus intelligents que tout le monde) ont décidé de lui trouver une définition différente lorsqu’il est utilisé dans ce contexte.

Comme le replica, ceci est valable dans la plupart des sports : un uniforme dit authentique (prononcez /o.tɑ̃.tajk/, à l’anglaise, succès fou dans les soirées mondaines) est un uniforme identique à ceux portés par les joueurs professionnels. Avec un coup de bol, il se peut même que c’en soit un destiné à l’usage de l’équipe. Dans tous les cas, ils possèdent le maximum, non pas pour toucher les étoiles, mais des technologies vantées avec tant d’application par les fabricants dans les pubs. Ils n’étaient pas commercialisés à l’origine, ce qui rendait les pubs un peu stupides, mais ça commence à se démocratiser, comme ça a déjà été dit. Ils sont donc par définition opposés aux replicas. Pour parler d’uniformes certifiés comme provenant bien du fabricant revendiqué, on préfèrera l’usage du terme « officiel », souvent accolé au terme « marchandise » sur les étiquettes par les fabricants eux-mêmes, c’est dire. En même temps, parler d’uniformes authentiques authentiques, ça donne l’air idiot en plus de torturer la mâchoire. Et imaginez que ça soit un bègue qui en parle, j’en ai des crampes d’effroi rien qu’à l’idée.

Pour votre gouverne, et si vous avez bien suivi, il existe donc des replicas officiels, des authentiques officiels, mais aussi des replicas non officiels et même des authentiques non officiels depuis peu. Ça paraissait évident mais ici on juge bon de le rappeler. Si vous croisez quelqu’un sur internet qui vend un replica authentique, c’est qu’il n’a pas lu Nylon Ganbare, qu’il n’a rien compris par lui-même, que c’est un benêt et que je refuse de respirer le même air que lui. Pouah.

Emploi du terme dans la vie de tous les jours : « Regarde, je porte un maillot carrément plus fragile, fabriqué avec des bouteilles en plastique et deux fois plus cher que d’habitude : il est forcément authentique, quel pied ! » ou encore « Franchement, autant Tic porte bien son blouson et son chapeau, autant Tac doit être allergique à sa chemise, ça lui fait un pif comme ça. »

A bientôt les enfants !

Nylon Ganbare

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