Rencontre avec les membres : moussepine, un intellectuel fan de football asiatique (1/2)

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A l’approche de la Coupe du monde 2014, nous vous proposons une nouvelle interview d’un membre du forum. Cette fois-ci, c’est moussepine qui s’y colle, du haut de son infatuation légendaire ! Rhéteur habile, ce trentenaire passionné d’exotisme nous fait partager sa grande connaissance du football asiatique à travers les épisodes qui ont forgé le début de sa légende. Un entretien riche en informations précieuses, donc.

Première partie : moussepine, l’amour du lointain, le rejet des « puissants ».

Pour commencer, présente-toi à nos chers lecteurs.

Moussepine, 30 berges, fan de foot depuis tout petit, ex-rédacteur en chef de footcoreen.com (2009-2010), fondateur avec Chongsoo (et si !) de l’éphémère site footkorean.com, (il avait été crée avec des membres de la communauté bigsoccer korea). J’ai des diplômes de sciences politiques, de chinois, je bosse en communication web et je passe des concours dans la fonction publique (ministère des affaires étrangères). A coté de ça, je suis fondu de littérature, je traduis de la poésie et j’en écris.
Tu es donc bardé de diplômes ! Mais tu t’y connais aussi très bien en football asiatique. Raconte-nous une peu l’origine de cette passion saugrenue !

Aussi loin qu’il me souvienne, je me suis toujours intéressé à ce qui était lointain, exotique, et j’ai toujours eu un goût prononcé pour les pays étrangers, le plus possible de préférence. Notamment en Asie, justement parce que c’est ce qu’il y a de plus lointain pour nous. La culture asiatique fascine beaucoup d’occidentaux spécialement depuis le 19ème siècle et l’intensification des contacts, elle m’a fasciné aussi, spécialement l’Asie de l’est et l’Asie centrale. Pour ça que j’ai décidé d’apprendre le chinois, le persan, de m’intéresser à l’Histoire de ces pays.
Cette tendance s’est naturellement traduite dans une de mes plus grandes passions : le football, en m’intéressant à tout ce qui n’était pas européen ou qui ne relevait pas du centre médiatique du football : l’Europe de l’ouest et ses grands championnats, le Brésil et l’argentine, les joueurs « stars » etc.

Des  » grandes nations  » du football que tu n’as pas l’air de porter dans ton coeur…

Pour une raison que j’ignore, peut-être une volonté de me démarquer, j’ai développé une sorte d’aversion globale pour le football local européen de l’ouest (historiquement et incontestablement le foot pro est une création européenne/sud américaine) ; les gros clubs, les grosses sélections, ceux qui raflent toujours tout, et gagnent implacablement depuis 1930. Disons qu’entre David et Goliath, j’avais toujours préféré David et dès que je trouvais l’occasion de soutenir un David, je le soutenais.
A ma jeune époque, l’Asie était justement le David du football mondial. Cela est beaucoup moins vrai actuellement. Mais longtemps au XXème siècle on a méconnu le football asiatique car celui-ci n’obtenait que de piètres résultats. On ne connaissait rien de ses joueurs, des clubs de football qui se développaient et de la culture foot qui gagnait du terrain là-bas.

Il faut dire que les résultats n’aidaient pas à la reconnaissance du football asiatique…

Les exploits étaient sporadiques, maigres et jamais le fait d’un même pays. L’histoire du football professionnel et international s’était déroulée presque sans ce continent : L’Indonésie, (à l’époque encore colonie hollandaise) fut la première nation asiatique à participer à un mondial en 1938 mais elle fut écrasée par la Hongrie sans sourcilier. La Corée du Sud du capitaine Chu Yung Kwang connut son baptême de feu en 1954, lors du mondial hébergé par la Suisse, mais pour être pareillement mise en déroute, et sans laisser de trace. Ce fut cette année là que fut d’ailleurs créée la Confédération Asiatique de Football, pendant de l’UEFA et de la Conmebol. L’AFC a intégré de plus en plus de fédérations nationales, passant de 12 fondatrices à 46 aujourd’hui. Peu à peu, le football gagne du terrain dans toutes les régions de l’Asie, les infrastructures se construisent, la formation se développe et l’intérêt du public, moindre évidemment qu’en Europe, croît.

En 1956, l’Inde de Neville N’Dsouza donne un premier coup de semonce en rivalisant avec la Yougoslavie pour la médaille de bronze aux JO australiens. La même année, l’AFC lance la première édition de la Coupe d’Asie des Nations, l’Asian Cup, qui eut lieu à Hong Kong et fut remportée par la Corée du Sud. Le plus grand tournoi d’Asie de football s’est poursuivi jusqu’à présent, à 15 reprises, tous les 4 ans. Ce tournoi a eu le mérite de permettre d’identifier clairement les pays asiatiques les plus performants en matière de football : Le Japon (4 coupes d’Asie), La Corée du Sud (2 coupes d’Asie), L’Iran (3) et L’Arabie Saoudite (3). Il n’est guère surprenant que ce soit justement ces pays qui aient réalisé la plupart des exploits du football asiatique sur la scène internationale. Par la suite, pour intégrer les coupes du monde FIFA de jeunes, l’AFC lancera les championnats d’Asie des moins de 16 ans, des moins de 19 et des moins de 22.

Il fallut cependant attendre La Corée du Nord au mondial anglais de 1966 (et Pak Zeung Jin, deux fois buteur, contre l’URSS puis le Portugal) pour voir une équipe d’Asie enfin capable de tenir tête et de battre des équipes européennes. Elle frôla même les demi-finales, après avoir éliminé l’Italie et mené le Portugal d’Eusebio 3-0 en quarts. On prétend qu’après leur échec les joueurs furent sanctionnés par le régime de Kim Il Sung mais rien n’a jamais été prouvé en ce sens ; encore un moyen commode de renvoyer les asiatiques à leur bizarrerie inhumaine et lointaine ! C’était quoi qu’il en soit là un premier coup de fronde, et une grande surprise pour les spectateurs européens, qui oscillèrent entre enthousiasme et incrédulité. Ainsi donc des gens savaient jouer au football en Asie au point d’en remontrer aux créateurs du football !! 

L’émergence du football asiatique sur la scène mondiale fut confirmée deux ans plus tard par le triomphe du Japon de Kunishige Kammamoto (7 buts, meilleur buteur du tournoi) et Masashi Watanabe aux Jeux Olympiques de Mexico, qui obtint la médaille de Bronze en vainquant le Nigéria, la France, le Mexique et en tenant tête au Brésil. A compter de cette date, le football mondial ne pouvait plus faire comme si L’Asie n’existait pas : mais il fallut patienter encore pour voir des résultats plus continus.
Il y eut d’abord la performance de l’Iran aux JO d’été de Montréal en 1976 (quarts de finale) puis au mondial argentin en 1978, avec un nul contre l’Ecosse et deux défaites honorables. Cette belle équipe iranienne championne d’Asie 1974 était emmenée par l’attaquant de poche Hassan Rowsham, personnage très important du football perse, qui fit énormément pour développer la discipline sportive sur le long terme en Iran.
Plus prometteurs encore furent la réussite de la Corée du Sud au mondial U-20 1983 au Mexique (demi finaliste) et les performances honorables du surprenant Koweit à la coupe du monde espagnole en 1982 (nul contre la tchecoslovaquie de Panenka).

Et C’est à partir de la fin des années 1980 que les choses s’accélèrent : d’abord, la Corée du Sud, dont le football se professionnalise de plus en plus, voit certains joueurs arriver et réussir en Europe (Cha Bum Kun remporte la coupe d’europe avec le bayer leverkusen en 1988 et Huh Jung Moo est recruté par le psv eindhoven) et se qualifie pour deux coupes du monde d’affilée (1986, 1990).
En 1986, pour la première fois, deux nations de l’AFC sont présentes au mondial : l’Irak et la Corée. La Corée tient en échec la Bulgarie, marque un but à L’argentine, futur vainqueur de l’Epreuve, et gène considérablement l’Italie. De son côté, l’Iraq ne perd aucun match par plus d’un but d’écart. C’est un signe fort.

En équipe de jeunes, les progrès sont encore plus spectaculaires : l’Arabie saoudite remporte le mondial des moins de 17 ans a Glasgow (1989) à la surprise générale, cependant que le Bahrein atteint les demi finales. C’est la première fois qu’une nation asiatique remporte un tournoi international de football de l’histoire ! Le Qatar (1991) puis l’Oman (1995) atteindront eux aussi les demi finales, montrant que cette percée n’était pas un feu de paille et que la formation portait des fruits réels, notamment dans la péninsule arabique qui bénéfice de la manne pétrolière pour financer son développement.
Lors du mondial 1990 italien, la Corée du Sud s’incline trois fois mais marque un but à l’Espagne, et les Emirats Arabes Unis parviennent à marquer un but à l’Allemagne, futur vainqueur du tournoi, et à la Yougoslavie.

Autant d’exploits que tu n’as pas vécus en direct…

C’est 4 ans plus tard, que j’ai commencé à m’intéresser au foot asiatique, avec mon premier grand choc footballistique : la coupe du monde 1994 aux USA. Celle-ci avait 3 particularités : elle avait lieu sur un continent différent, les équipes phares européennes et sud américaines étaient en difficulté ou absentes (pas d’Angleterre, pas de France), et enfin et surtout, on voyait des équipes asiatiques à l’œuvre réussir.

J’avais été épaté par les saoudiens, brillants techniquement, qui avaient battu les belges avec notamment ce but incroyable de Saed Al Owairan, et par la ténacité des coréens, qui avaient tenu l’Espagne en échec et frôlé le nul contre l’Allemagne championne du monde. Ce n’était pas de minces exploits, pour l’époque, sachant que les infos dont on disposait sur ces équipes étaient très limitées, avant internet et les NTIC (Nouvelle technologies d’information et de communication). Coté coréen, on découvrait alors le brillant défenseur Hong Myung-Bo et l’attaquant Hwang Sun-Hong, dont le courage et le « tuhon » ( 투혼, un terme coréen qui désigne une sorte de fighting spirit, une persévérance ardente pour réussir) attiraient l’attention.
Ce n’est que par la suite que j’ai compris pourquoi l’Arabie saoudite avait fait si bonne impression : c’était la génération U-17 championne du monde 1989 qui émergeait sur la scène pro, avec le célèbre portier Al Daeyea en leader. Quand aux coréens, ils commençaient enfin à progresser avec un rodage de 2 coupes du monde difficiles (1986 ; 1990) .
Après cela, j’ai commencé à m’attacher plus spécialement aux équipes asiatiques de la zone AFC, la confédération de football la plus vaste du monde (de la péninsule arabe à l’Australie maintenant !). Cela incluait notamment La Corée, Le Japon, l’Iran, L’Arabie Saoudite, l’Ouzbékistan.

Et qu’est-ce que tu as aimé, en particulier ?

Ce que j’aimais dans ces équipes ? Le respect des règles plus prononcés (regardez l’Arabie Saoudite et le Japon, les joueurs ont un respect de l’arbitre inouï pour un européen), une absence de suffisance, un faible recours à la triche, à la roublardise, un public plus sympathique et une marge de progression bien plus grande que les autres équipes d’Europe et d’Amérique du Sud, car l’Asie c’est le futur du football, l’idée que le centre de gravité de ce sport se déplacera un jour vers l’Est.
J’aimais aussi beaucoup la variété des footballs proposés par les grandes équipes d’asie, football technique à base d’exploits personnels et d’invention chez l’Arabie Saoudite (inspiration assez brésilienne), football balle au sol tout en combinaisons très léché du Japon, niaque et puissance athlétique chez les Coréens et les Iraniens, et le beau jeu proposé dans une moindre mesure par des équipes comme l’Ouzbékistan ou L’Oman.
Mais l’affreuse coupe du monde française du point de vue asiatique (la Corée essuie deux défaites et un nul, pareillement l’Arabie Saoudite, le Japon s’incline trois fois, seul l’Iran surnage en battant les Etats Unis, première victoire en coupe du monde pour les persans) rappelait aux équipes de l’AFC que le chemin était encore loin au succès à la coupe du monde. Malgré les progrès, malgré le nombre croissant de joueurs en Europe (Nakata, Ali Daei, Mehdi Madavikia) il fallait encore travailler d’arrache pied pour imposer le respect et gagner.

Heureusement, l’échec de 1998 ne marquait pas de coup d’arrêt : dès 1999, le Japon de Endo, Takahara, Inamoto et Shinji Ono
atteignait la finale du mondial U-20 au Nigéria en éliminant les etats unis, l’angleterre, le Portugal et le Mexique !

Puis vint l’année 2002…

Oui. Trois ans plus tard, l’Asie accueillait pour la première fois le mondial, pour accomplir son plus bel exploit : la Corée du Sud, portée par une génération exceptionnelle (Ahn Jung-Hwan, Seol Ki-Hyeon, Park Ji-Sung, Lee Chun-Soo, Hong Myung-Bo, Cha Du-Ri, Lee Won-Jae) parfaitement organisée par l’entraîneur hollandais Guus Hiddink atteignait les demi finales de la coupe du monde, ne cédant que par la plus petite des marges contre l’Allemagne après avoir terrassé le Portugal, l’Italie et l’Espagne ! Pendant ce temps, le Japon de Nakata goutait ses premières victoires et un huitième perdu de peu contre la Turquie. La Chine de son coté participait pour la première fois de son histoire, tandis que l’Arabie Saoudite encaissait son plus lourd revers de l’histoire contre l’Allemagne (8-0) et perdait tous ses acquis. 2002 fut réellement un tournant dans ma passion du football asiatique, une jubilation énorme (tous les goliaths du football défaits, à l’exception de l’Allemagne et du brésil) pendant un mois et enfin la preuve que la Corée ou le Japon pouvait vaincre, que l’élève pouvait dépasser le maître.

Cette Coupe du monde a marqué un tournant décisif dans l’histoire du football asiatique.

Depuis 2002, il n’y a plus eu de mondial sans victoire asiatique, que ce soit un mondial sénior ou junior. Depuis 2002, les équipes asiatiques sont beaucoup plus prises au sérieux malgré les clichés qui perdurent, le refus de voir les progrès accomplis et une certaine condescendance post coloniale du public occidental assez pénible. Depuis 2002, des joueurs asiatiques ont réussi à gagner des titres européens (Park Ji-Sung, Nakamura, Lee Young-Pyo, Kim Dong-Jin, Kagawa, Honda, Nagatomo, Hasebe, Ono, pour ne citer qu’eux) et depuis 2002, les fans de football asiatiques espèrent que leur équipe ira loin en coupe du monde. Et depuis 2002 je m’intéresse au football asiatique dans son intégralité : les championnats locaux, la champions league asiatique (ACL), et la coupe d’asie des nations.
Après un mondial 2006 en demi-teinte et un peu décevant, le mondial 2010 a remis les pendules à l’heure de 2002 : deux équipes asiatiques en huitièmes, frôlant les quarts de finale et cette fois sans l’avantage du terrain. On ne peut plus qu’espérer les quarts au Brésil pour l’édition 2014.

Espérons, oui ! Maintenant, dis-nous : quel est ton joueur asiatique préféré de tous les temps ? Si tu en as un.

Le football étant un sport collectif par essence, et une histoire d’alchimie entre des joueurs, je préférerais citer un onze représentatif de ce que j’aime dans le football asiatique plutôt qu’un joueur entre les autres.

Je placerai donc le félin portier saoudien Al Daeya et ses 4 coupes du monde dans les cages, protégé par les défenseurs centraux Hong Myung-Bo et Tulio Tanaka, et avec pour latéraux Lee Young-Pyo sur la gauche et Mehdi Madavikia sur la Droite. Au milieu de terrain, j’élirais Yasuhito Endo, Park Ji-Sung et Javad Nekounam. Enfin en guise d’attaquants ; Khalid Al Romaihi le jeune saoudien qui offrit avec ses trois buts en 1989 le premier titre international fifa à une équipe asiatique, avec Ali Daei, sans doute le plus grand iranien de l’histoire et naturellement Cha Bum-Kun, qui fut le premier joueur asiatique a remporter un championnat européen et une coupe d’Europe avec le Bayer Leverkusen.

Maintenant dis-nous, quelle est ton équipe asiatique préférée ?

Mon équipe asiatique préférée est la Corée du Sud, de par son vécu, son histoire et ses joueurs. Mais j’apprécie énormément le Japon, j’ai de la sympathie pour la Corée du Nord, l’Iran, l’Arabie Saoudite (trois sinistres régimes politiques mais qu’importe ! on parle de foot), l’Iraq et l’Ouzbékistan dont je ne désespère pas de la qualification un jour en coupe du monde vu ce qui a été accompli par les sélections de jeune. L’Iran a un jeu assez dur et parfois roublard qui peut déplaire à certains moments. L’Australie est une équipe très solide mais je ne la considère pas vraiment comme asiatique. Ceci dit son inclusion dans la confédération a apporté une montée du niveau qui est appréciable. Pourquoi pas la Nouvelle Zélande, dans les années qui viennent, voir Israel et … La Russie ?
Des équipes comme les Emirats Arabes Unis, Oman, la Chine, la Thailande, le Vietnam, la Malaisie, la Jordanie, l’Indonésie et la Birmanie ont aussi des potentiels intéressants.

Tu vas donc supporter prioritairement la Corée du sud, lors de ce mondial.

Mais je tiens à ce que les autres équipes asiatiques fassent très bonne figure. Du Japon, j’espère un quart de finale, et de l’Iran, que la sélection de Queiroz gène au maximum l’Argentine, le Nigéria et la Bosnie. Quant à l’Australie, elle me semble condamnée DANS UN GROUPE comprenant l’Espagne, la Hollande et le Chili, mais qu’elle me fasse démentir et je serai ravi ; des performances des équipes de l’AFC dépent aussi l’obtention d’un poste de qualification pour la prochaine coupe du monde. Il faut faire le boulot pour montrer que la progression continue….

Y a-t-il une équipe asiatique que tu détestes ?

Je ne déteste vraiment aucune équipe asiatique, je suis juste navré par le retard que certaines accusent en raison de la piètre situation politique et économique de leur pays (les pays d’asie centrale, le népal, le timor, le bangladesh, etc.)

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