Rencontre avec les membres : Keiran, ou le passionné de tactique (4/4)

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Dernière partie de l’interview avec Keiran : l’avenir du football japonais, sa place en Asie. 

Maintenant que le Japon est régulièrement champion d’Asie, dans quelle mesure l’AFC (confédération asiatique de football) n’est-elle pas un frein à sa progression ?

Le Japon a certes gagné trois des quatre dernières coupes d’Asie mais on ne peut pas dire que, pour le moment, il domine outrageusement le continent. La preuve avec la finale en 2011 qui a été remportée difficilement face à l’Australie.
L’AFC ne jouit pas d’une très bonne réputation mais elle possède un point fort de taille : elle regroupe la plus grande diversité culturelle. Les identités footballistiques sont très différentes à l’Est, à l’Ouest, au Nord et au Sud. Alors, oui, il y a des pays au football très peu développé, notamment en Asie du Sud-Est. Mais, je pense qu’entre l’Arabie Saoudite, l’Iran, l’Irak auxquels s’ajoutent l’Ouzbekistan, la Corée du Sud, le Japon et l’Australie, l’AFC a de belles équipes. Et avec le Qatar, la Chine et la Thaïlande qui travaillent bien (on le voit avec leurs clubs en ACL), je pense que d’ici une dizaine d’années, le niveau de l’AFC va monter d’un cran, et cela profitera au Japon.

Des équipes comme l’Australie ou la Corée du sud sont proches du niveau du Japon. Mais il n’y a pas, en Asie, d’adversaires plus forts, comme par exemple les Pays-Bas et la Belgique, qui obligent le Japon à vraiment se transcender…

Bien sûr, mais il faut aussi prendre en considération l’histoire du foot asiatique qui est très récente. Ce niveau de progression pour le Japon en 20 ans, c’est assez incroyable quand on prend du recul. Et au même moment, on a vu le déplacement du leadership asiatique vers l’est puisque, hormis la Corée du Sud, c’était plutôt le Moyen-Orient qui dominait les débats et allait en Coupe du Monde. Laissons donc du temps aux équipes, Rome ne s’est pas bâtie en un jour. En attendant, faire de tournées européennes, se qualifier à chaque coupe du monde et atteindre le dernier carré de la Coupe d’Asie permettra à l’équipe de continuer à progresser.

Le progrès, cela passe également par une formation de meilleure qualité. Aujourd’hui, comment juges-tu la formation japonaise ? 

Elle est tr̬s performante. Preuve en est, le nombre de japonais convoit̩s en Europe, et ceux qui font les beaux jours de la J-league Рun championnat de tr̬s bon niveau.
Je me souviens qu’en 1999, Daniel Sanchez, alors entraineur de Nagoya, déplorait le fait que les jeunes japonais jouaient pour leurs écoles et non pour des clubs, où la compétition aurait été plus forte. A l’époque, on ne jurait que par la formation à la française, celle où le joueur quittait sa famille à 14ans pour ne se consacrer qu’au foot. Aujourd’hui, ce qui est mis en avant chez les joueurs japonais, c’est leur stabilité, leur sens du devoir, etc. Tout cela vient du fait que beaucoup de joueurs japonais viennent du circuit scolaire où ils ont vécu une vie normale. On peut citer Honda et Uchida qui ont joué jusqu’au lycée et Nagatomo qui n’a été repéré qu’a l’Université. Et leur niveau montre bien que leur formation technique a été de qualité. Avec en parallèle un système de centres de formation et équipes de jeunes des clubs pros (ou affiliés), je pense que le Japon a trouvé un équilibre idéal.

Dans les sélections nationales de jeunes, on voit les équipes jouer un peu comme le Barça, en abusant des passes, oubliant parfois l’expression individuelle de leurs talents. Ne crains-tu pas que nos joueurs deviennent trop formatés, incapables de réussir en Europe dans un environnement qui leur sera moins propice ?

S’inspirer du Barça c’est bien, mais le copier non. Le Japon a sa propre identité de jeu, il ne doit pas l’oublier : le jeu de passes est plus rapide, plus emballant. On sait aussi quen culturellement, on ne favorise pas beaucoup l’expression personnelle du jeune japonais. Du coup, en effet, on est en droit de se demander si le joueur ne va pas tout perdre de sa personnalité alors qu’en Espagne, cette politique sert surtout à limiter puis intégrer de fortes personnalités.
Il faudra donc voir si ce choix de formation tient sur le long terme (attention à l’effet de mode) et comment il va interagir avec la culture en elle-même, qui évolue aussi.

Cela marche bien en U17, mais le Japon n’a plus accédé à la Coupe du monde U20 depuis 2007, et a récemment déçu à l’Asian Cup U22. Es-tu inquiet ? Notre modèle de formation, qui porte ses fruits en U17, ne trouve-t-il pas ses limites quand les joueurs atteignent un âge adulte ? 

Inquiet ? Pas vraiment. La France a le problème inverse, puisqu’elle cartonne en sélections de jeune mais ne se qualifie pas pour les Jeux Olympiques. Or, les J.O, c’est un peu l’épreuve reine des catégories jeunes, la consécration pour une génération qui a commencé à jouer ensemble à 16ans. La qualification régulière à ces jeux et les performances satisfaisantes à cette compétition me rassurent.
Les mauvais résultats à un certain âge ne sont pas illogiques car l’argument physique y a une place importante et les japonais sont déficitaires à ce niveau. Dans l’ensemble, on voit également que le joueur japonais fait un bond lors de sa post-formation, lorsqu’il commence à jouer régulièrement en pro. Dans d’autres pays, c’est l’inverse, le joueur disparaît au moment de passer le cap en pros. C’est pour cela que les J.O sont importants, puisque la majorité des joueurs sont sur la fin de leur post-formation. Pas trop d’inquiétudes à avoir donc.

Plusieurs japonais jouent dans de très bons clubs européens, actuellement. Considères-tu qu’il s’agit d’une génération dorée et éphémère, ou qu’on verra rapidement de nouveaux très bons joueurs réussir en Europe ? Les derniers transfuges comme Nagai, Kanazaki ou Omae se sont avérés des échecs… 

Est-ce une génération dorée ? Oui, sans doute. Mais elle est surtout le résultat d’une évolution exceptionnelle du foot Japonais, que ce soit dans la formation, les clubs professionnels ou les résultats en équipe nationale. Le Japon a gagné une vrai crédibilité dans le monde. Après la génération Kagawa-Honda, on à eu celles des J.O puis celle incarnée par Kakitani. On voit que ça dure et qu’il y a un certain renouvellement. C’est bien. Reste à savoir si tous les postes seront renouvelés avec la même efficacité.
Concernant la Bundesliga, il y a sans doute eu un effet de mode mais celui-ci était justifié tant les joueurs recrutés au départ avaient donné satisfaction. Les joueurs recrutés ensuite ne manquaient pas de qualités mais étaient-ils prêts à faire le grand saut ? J’en suis moins sûr. Seul Kanazaki semblait suffisant mûr, et cela explique sans doute pourquoi il est resté en Europe.
Les clubs européens s’intéressent aujourd’hui au Japon car il a enchaîné deux performances, en Coupe du Monde 2010 et aux Jeux Olympiques 2012. Les compétitions internationales sont une vitrine exceptionnelles et elles permettent de constater le niveau footballistique d’un pays par rapport à d’autres. Mais on voit aussi que Cologne est allé chercher Nagasawa dans le championnat universitaire. Cela prouve que désormais, les recruteurs européens se sont implantés au Japon. J’aurais donc tendance à dire qu’aujourd’hui la porte est ouverte pour un moment, et que, tant que le Japon continuera à former de bons joueurs, les recruteurs resteront.

Tu ne trouves pas que les japonais sont, dans l’ensemble, peu précoces et arrivent à maturité physique plus tard que la moyenne ? Les joueurs partis très tôt en Europe (Usami, Miyaichi, Takagi) ont presque tous échoué, alors que le voisin sud-coréen a vu Son Heung-Min exploser en Europe à seulement 20 ans… 

Les joueurs japonais sont sans doute plus naïfs. Comme je l’expliquais précédemment, j’ai l’impression qu’il y a un manque de vécu face à un jeu différent, des joueurs d’une autre nationalité. Après, oui, il y a l’argument physique qui est important tout comme la faculté à faire preuve de caractère. Tout cela demande un certain temps d’adaptation et donc le joueur japonais émerge plus vers 22 ans, ce n’est pas un problème en soi. Tu parles de Heung-Min Son par exemple, il faut noter qu’il a rejoint l’Allemagne à 16 ans, il a donc eu le temps de changer, de s’adapter, de s’affirmer. A voir ce que donneront des joueurs japonais dans ce genre de conditions…

Puisque nous parlons de la Corée du sud, le premier rival asiatique du Japon : il y a deux prodiges coréens de 16 ans au centre de formation du Barça : Lee et Jang. Le premier semble extraordinaire. Est-ce que tu l’as déjà vu à l’oeuvre ? Il devrait bientôt constituer une incroyable menace pour le Japon ! Ou une chance de s’améliorer à son contact… 

J’ai vu quelques vidéos. Après, le Japon aussi possède son prodige au Barça. Je me méfie de ce genre d’emballement, tant qu’un joueur n’a pas connu la vodka et les filles, difficile de dire ce qu’il deviendra (rires).
De toute façon, une individualité peut enrayer un collectif, lorsque l’écart de talent avec les partenaires est trop élevé. L’exemple le plus flagrant est le Portugal, qui est complètement inhibé avec Cristiano Ronaldo mais qui a livré de très bonnes parties sans lui. Cela ne veut pas dire qu’il faille abandonner les individualités mais, plutôt, ne pas les utiliser à mauvais escient. Le Portugal a, par exemple, un jeu qui penche à 90% à gauche, mais il préfère s’enfermer sur ce côté plutôt qu’aller jouer dans le trou qui se forme, côté opposé. En Suède, Ibrahimovic a baissé d’un cran et joue en n°10 où il peut mettre sa technique au service du collectif tout en restant proche du but, il y a un bon compromis. Mais cela n’empêche pas à la Suède d’avoir de grosses carences défensives.
Les équipes que rencontre le Japon en Asie sont comme lui : elles ont peu d’individualités vraiment au-dessus. Cela ne permet pas au Japon d’être préparé à affronter des Suarez ou Balotelli. Il faut donc aller chercher ces adversaires par des amicaux ou en club. J’en reviens à l’ACL, qui permet de jouer contre des avant-centres non-asiatiques.

 Un grand merci à Keiran pour avoir joué le jeu jusqu’au bout, et à vous, chers lecteurs, on vous dit très bientôt pour de prochaines interviews ! 

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