Troussier, tout sur le sorcier : partie 5

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Suite et fin des questions…

Question 3 : Donc, excusez-moi, quand on a confiance, on va bien. Par contre, par exemple, à la mi-temps, vous perdez 2-0, vous voyez votre équipe en déroute… Qu’est-ce que vous dites ? Quelle est la différence de management entre une équipe française, une équipe japonaise, une équipe sud-africaine ? Comment vous allez redonner la confiance ?

Philippe Troussier : Il faut faire du théâtre. Mon métier, c’est un jeu de rôle. Bon, vous perdez 2-0, le public est complètement déçu, il a compris que vous pourriez pas gagner ce match. Donc vous, vous êtes aussi un être humain, vous avez la même impression. Donc soit vous arrivez dans le vestiaire et vous dites : « Comment on va faire, les gars, aujourd’hui ? »… (…) L’entraineur, il joue un rôle. C’est à dire que la seule personne qui n’a pas le droit de dire que ses joueurs, c’est des cons, que les joueurs sont mauvais, c’est lui. Lui, il doit vendre du rêve. Déjà, en termes de psychologie, lorsque vous arrivez dans le vestiaire, soit vous sentez que vos joueurs sont à la même hauteur que l’adversaire mais vous êtes menés 2-0 et que c’est juste un problème de « on n’y est pas, ils se foutent de vous, il y en a trois qui dorment, c’est lamentable qu’on puisse jouer une telle entame de match, etc. », à partir de là, soit vous défoncez le tableau qui est en face de vous pour donner une image… et vous pouvez utiliser un comportement agressif ou de mécontentement du genre « On n’y est pas ! Et si on continue comme ça, on va droit dans le mur ! » Donc là une attitude ciblée qui peut être associée éventuellement à « En 2ème mi-temps, toi, tu dégages ! » Si tu dis ça à un « Français »… Je l’ai dit  une fois à Costa, un gros Brésilien… heureusement qu’il y avait Pape Diouf parce que sinon il allait me rentrer dedans ! Donc il vaut mieux avoir des gardes du corps parce qu’il y a bien-sur des réactions, qui sont naturelles… On parle de la réaction d’Anelka mais vous êtes toujours confrontés dans votre attitude à des maladresses ou à des mots qui peuvent blesser.

Quelle est la méthode qu’il faut utiliser ? Un méthode liée à l’affectif, à l’action… Est-ce que l’énergie de l’action est supérieure à l’énergie de la réaction ? Par exemple, si vous dites à quelqu’un : « On s’aime… alors on joue ? » « Ben ouais, tu m’aimes donc ouais. » Ou alors : « On s’aime… mais si tu continues comme ça, je te sors ! » Il faut jouer avec ces aspects-là. Donc la réaction, c’est aussi une énergie qui peut vous retourner en pleine face mais c’est une énergie qui est souvent utilisée lorsque vous avez cinq minutes à la mi-temps pour dire à des joueurs qu’il faut se réveiller. En sachant que le verbiage est un verbiage d’attitude, de décision.

Et ensuite, si vous êtes menés 2-0 et que vous êtes vraiment en dessous parce que vous n’avez tout simplement pas le niveau, il faut trouver des propos plus apaisants : « Bon, on le savait, les gars. Je pense qu’on ne joue peut-être pas sur nos valeurs, qu’on fait un complexe. Je crois que si on reste comme ça, on va en prendre cinq. Je pense qu’il va falloir qu’on se bouge un peu plus… Peut-être que dans les duels, il va falloir en mettre un peu : là tu te fais bouger, le gars il fait ce qu’il veut. Avant qu’il touche le ballon, essaie de lui montrer que tu es présent ! » Donc là, trouver des petits arguments pour repartir positivement… mais en sachant que de toute façon votre équipe est inférieure pour différentes raisons. Donc il y a deux aspects de réaction, aussi bien agressive qu’apaisante.

« Un grand manager français, c’est quelqu’un qui est grand, qui fait du bruit, qui prend des décisions et qui parle fort. (…) Dans un système japonais, ce gars-là, il passe pas. »

Q3 : Donc c’est à peu près la même méthode que vous managiez une équipe française ou une équipe japonaise ?

P.T. : Oui parce que vous avez affaire à des êtres humains qui souvent répondent aux mêmes stimuli. Si je vous montre par exemple un bock de bière, vous allez saliver. Donc si je fais ça à un Japonais qui n’a pas bu depuis trois semaines, automatiquement, il va faire la même chose. Bien-sûr, les hommes réagissent de la même façon mais au Japon, lorsqu’on utilise ce genre de méthodes, elles sont un peu mal perçues… Parce que, comme vous le savez, pour nous, un grand manager français, c’est quelqu’un qui est grand, qui fait du bruit, qui prend des décisions et qui parle fort. Vous savez bien que dans un système japonais, ce gars-là, il passe pas. Mais il faut savoir que dans le management des joueurs… A la limite, je dirais qu’au Japon j’ai plus utilisé la manière visuelle parce que quand vous avez affaire à un interprète, automatiquement, vous êtes obligé de préparer un petit peu votre discours, de pas donner comme ça des mots un petit peu bêtement, vous êtes obligé d’avoir une approche assez organisée.

Aussi, le fait de changer des joueurs est important. Quand vous changez des joueurs, il ne faut pas croire que c’est parce qu’ils sont fatigués. Souvent, dans le système français, je me souviens qu’un entraineur, au bout de 5mn, il va voir qu’on va aller dans le mur… Comme un gars qui part en Formule 1 avec ses pneus pluie. Il pensait qu’il allait pleuvoir mais non… et au bout de 5mn il passe aux stands pour changer ses pneus. C’est une décision liée à un scenario qu’il a imaginé. Parce que quand on fait un match, on part du principe qu’on part sur un scenario, on imagine comment ça va se passer. On est obligé de jouer le match avant, ce qui fait que vous mettez votre équipe en place, par rapport à la stratégie, par rapport aux forces de l’adversaire. Et il s’avère qu’au cours du match, vous pouvez être confronté à d’autres réalités qui sont liées au « live », des réalités directes. Vous prenez un carton rouge, un penalty… il va falloir gérer tout ça.

MC : Est-ce qu’il y a des questions des élèves du lycée ? Ça serait sympa d’avoir des questions des élèves, non ?

Q4 : Bonjour. Qu’avez-vous pensé de la réaction des média japonais envers Yuichi Komano après la Coupe du Monde ?

P.T. : Komano, oui je vois qui c’est mais… qu’est-ce qu’il y a eu ?

Q4 : Ben, il a été accueilli en héros au retour au Japon alors qu’il a raté un penalty contre le Paraguay aux tirs au but…

P.T. : Ouais, je vois. Je pense qu’on a surtout félicité la performance de l’équipe et que Komano ne devait pas être le responsable de l’élimination. Donc je pense que c’est un message très respectueux qu’ils lui ont donné, justement pour lui montrer qu’ils ne lui tenaient pas rigueur. Je pense que dans tous les pays du monde, on aurait fait la même chose, d’ailleurs. Ils sortent par la grande porte. Rater un penalty, bien évidemment, c’est la sanction de l’épreuve, hein, parce que ca s’arrête. Et puis on pourra toujours le consoler en lui disant que les plus grands joueurs ont également raté des penalties… On est bien placés pour le savoir.

D’ailleurs, c’est une façon de rebondir sur le spectacle de Pierre Regal qui aura lieu les 10, 11, 12 Décembre ici, à Tokyo, à l’Institut Français C’est une pièce de théâtre qui a été réalisée par Pierre Regal, qui est français et qui a mis en scène un sentiment que, lui, avait eu a l’époque, en 1982, lorsqu’il avait assisté à la demi-finale de la Coupe du Monde entre la France et la République Fédérale Allemande. Donc 1982, à Séville, vous vous rappelez que la France, après avoir été menée, a égalisé; ensuite elle est partie en prolongation, ensuite elle s’est même vue menée au score 3 buts à 1 à dix minutes de la fin pour finir à égaliser et pour finalement perdre aux penalties. Entre-temps, il y avait eu des décisions d’arbitre plus ou moins litigieuses, on avait tiré sur les poteaux, les barres transversales et on avait eu un joueur qui avait été percuté par le gardien, Battiston, qui était sorti sur « coma ». Donc Pierre Regal, qui avait assisté à l’époque à ce match, a été habité par une espèce de sentiment de frustration entre la joie, la déception, tout un ensemble de choses qui lui est passé dans le corps… Il met en scène quatre personnages qui vont mimer des actions liées à ce match de foot en faisant passer, justement, ces messages un peu absurdes par moment… Bon, il y a des belles figures gibliques (??) par moment… C’est un peu à l’image du foot, finalement : vous avez des situations qui peuvent être considérées comme un peu tendancieuses et puis vous avez des belles choses et vous avez de la joie, des déceptions, de la frustration… enfin bref. Donc ce spectacle, ils m’ont demandé d’en être un peu l’image en tant que représentant du foot, comme c’est un spectacle français qui aura lieu au Japon. Et il m’a demande également de pouvoir intervenir sur le devant de la scène pendant quelques minutes pour pouvoir présenter, à la limite, les images de l’époque pour pouvoir rappeler surtout aux Français, puisque je pense qu’il y aura beaucoup de Français qui viendront voir ça… mais aussi sûrement des Japonais.

Alors j’en profite pour faire de la publicité (…) C’est dommage parce qu’à l’époque, quand on m’a présenté ce dossier, bien-sûr, j’ai tout de suite accepté parce que j’ai trouvé que c’est sympa de promouvoir un spectacle français, ici, à Tokyo et j’avais penser inviter Battiston, que j’ai eu au téléphone, également Thierry Rolland, qui était… quand il dit un moment « Ici Paris ? Allô, Paris ? » pour dire qu’ils étaient vraiment K.O., et Michel Hidalgo, que j’avais eu au téléphone « Ouais, ouais, on vient, on vient, on vient ! » Et puis finalement… ils ne viennent pas. Alors, je ne sais pas ce qu’il s’est passé mais ils ne viendront pas. C’est dommage parce que tout le monde aurait été content de voir Thierry Rolland, Battiston et Michel Hidalgo… A moins qu’ils ne nous fassent la surprise ! Bon, je voulais inviter Schumacher mais il a décliné… (rires) Je voulais qu’on le refasse : « Alors comment ça s’est passé, M. Schumacher, exactement ? » Donc on refaisait le geste… On aurait pu faire ça, hein ?

MC : Peut-être une dernière question ?

P.T. : Sachez en tout cas que pour moi, c’est un grand plaisir d’essayer de répondre le mieux possible à…

Q5 : Bonjour, je suis l’organisateur des évènements foot pour l’AFE (Association des Français de l’Étranger, NDLR), on joue tous les samedis à Shin-Koiwa, et j’ai une question de « détail » : est-ce que les joueurs Japonais vous appelaient « Torché », « M. Torché », ou alors « Troussier » ?

(rires)

P.T. : Alors vous avez raison de me poser cette question. D’abord, c’est pas « Torché »… On pourrait utiliser une Japonaise qui pourrait nous dire exactement ce que c’est… pour éviter de me faire écorcher mon nom, quand-même..

Quelqu’un dans le public : C’est « To-rou-chié ».

P.T. : Ce qui est marrant, c’est qu’au Japon, c’est « Torouchié », au Maroc c’est « Ah m’sieur Troussi ! » et en Afrique « Ah, m’sieur Trousso ! » (rires) Donc moi je m’y retrouve, hein. Mon objectif, c’est comme disait Coluche : « Être grand, être petit… Le plus important c’est que les pieds reposent bien par terre ! » Effectivement, maintenant mon oreille a bien saisi…

MC : Il n’y a plus de questions ? Bien, je crois qu’on peut applaudir !

P.T. : Merci à vous.

Séquence audio n°5 :

Et enfin…

Pour terminer…

Séquence audio intégrale, sans coupure aucune :

Voilà qui conclut votre semaine en compagnie du « sorcier blanc ».

Remerciements à Oldguy, qui rassurez-vous a survécu à cette mission.

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