Rencontre avec les membres : Keiran, ou le passionné de tactique (2/4)

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 Deuxième partie de notre entretien : L’évolution du football japonais selon Keiran.

Le Japon reste un jeune pays de football. Depuis que tu t’y intéresses, constates-tu des progrès notables, aussi bien au niveau du championnat que de son équipe nationale ?

L’équipe nationale a indéniablement progressé. On la sent vraiment plus sûre d’elle. Il y a encore des choses à régler bien sûr, entre autres au niveau de l’équilibre de la colonne vertébrale de l’équipe. Mais il est certain que, comparé à ce qui se faisait il y a 4 ans et avant, c’est beaucoup mieux.
Pour le championnat, je suis plus mesuré. Il a progressé grâce à l’apport du retour des anciens d’Europe ces dernières années (Nakamura, Ono…). Mais c’est un championnat qui se referme sur lui-même, un peu corporatiste. L’attitude des clubs en ACL (NDLR : Asian Champions League, l’équivalent de la Ligue des champions asiatique) illustre bien sa réticence à s’ouvrir. Oui, participer à ce tournoi coûte cher, oui les distances entre les pays sont grandes et certaines phases de poules ne sont pas toujours intéressantes – quoique – mais ce n’est pas une raison pour lâcher la compétition comme cela. On voit la même chose de nos jours en France. Les clubs qui passent outre l’Europa League en invoquant des raisons semblables sont vivement critiqués par les supporters. Je pense vraiment que pour les joueurs et équipes japonais, rencontrer des footballs aux identités différentes (Corée du Sud, Ouzbékistan, Iran) ou clubs aux fortes individualités (Guangzhou, clubs du Moyen-Orient) ne peut faire que du bien. C’est une ouverture nécessaire, qui prépare notamment les jeunes joueurs aux futures joutes internationales. J’ai noté une plus grande implication la saison dernière malgré des tirages difficiles. J’espère que cela continuera.

Je te rejoins sur les progrès de l’équipe nationale ! A l’inverse, as-tu l’impression qu’elle stagne dans certains secteurs ? Nous considères-tu comme réellement proches des meilleures équipes au monde ?

Je ne pense pas qu’il y ait une véritable stagnation. On pourrait évoquer le problème de l’avant-centre qui marque des buts, mais là, il y a un vrai souci qui est selon moi d’ordre culturel. Demander à un joueur japonais d’être égoïste, c’est difficile. Si Honda ou Nakata sont des joueurs hors-normes, c’est parce qu’ils ont des caractères plus affirmés. Il faudrait sans doute une autre personnalité de ce type en n°9, et pourquoi pas une en défense centrale. A nouveau, c’est par la stabilisation de la colonne vertébrale de l’équipe que le Japon pourra grimper la marche qui le mènera au Top 10 mondial. Il n’en est vraiment pas loin, grâce à son collectif, sa cohérence, sa combativité et ses qualités techniques. Le Japon lutte à présent pour une place dans le top 16 mondial, ce groupe d’outsiders capables de malmener les favoris et qui comprend entre autres le Mexique, la Croatie, la Suisse, la Belgique, le Ghana, l’Uruguay, le Portugal (la Corée du Sud aussi) et la France.
Le Japon n’est pas inférieur à ces équipes, loin de là. Peut-être moins clinquant, mais très cohérent.

Moins clinquant, parce qu’il a moins de talents individuels que presque tous les pays que tu cites… 

D’autres équipes sont dans ce cas, avec des bons joueurs, mais aucune grande star. J’ai cité le Mexique et la Croatie, c’est exactement le même type d’équipe. Il y a de bons joueurs, qui jouent plus ou moins dans des grands clubs (Mandzukic, Modric, Srna et Rakitic pour la Croatie ; Hernandez, Dos Santos, Vela, Guardado côté Mexique), tout comme le Japon avec Kagawa, Honda, Nagatomo ou encore Uchida. Mais leur force réside vraiment dans leur collectif, leur solidarité qui sont au coeur d’une vraie identité de jeu. Quand la Croatie accroche l’Italie et fait bonne figure contre l’Espagne à l’Euro 2012, c’est loin d’être un coup de chance. Pareil pour le Mexique qui s’est qualifié en huitièmes de finale lors des 5 dernières Coupes du Monde. On peut très bien s’installer dans le top 16 mondial sans avoir THE star. Alors que l’inverse est moins vrai, la Suède en est un bon exemple.

En parlant d’individualités, on voit qu’aujourd’hui encore certains joueurs ont des problèmes d’adaptation en Europe… 

Certes, mais c’est plus rare qu’à une certaine époque. Les jeunes japonais ont moins de mal à se confronter à une culture étrangère que leur aînés. La plus forte concentration de joueurs japonais (comme en Allemagne), la présence d’interprètes, tout cela rend le choc moins brutal. Sportivement, il faut que le joueur s’affirme individuellement, mais ce qui gêne vraiment, c’est la dimension physique, bien sûr. Et ce n’est pas seulement l’impact, c’est aussi l’intensité qui est mise dans les courses. Les espaces se bouchent plus vite, les joueurs sont plus concentrés, du coup on a moins de temps pour prendre une décision. Bref, c’est un football différent. Pas forcément meilleur, mais il requiert une adaptation. Si un joueur comme Makino n’y est pas arrivé par exemple, c’est sans doute à cause de son incapacité à élever son niveau de concentration et de réaction. A l’inverse, on voit que Kagawa a surtout un problème de confiance, il cherche trop à « être anglais » selon moi, il devrait plutôt faire ce qu’il sait faire, ça lui a plutôt bien réussi par le passé.
Après, tout n’est pas noir. Voir un mec comme Nagatomo porter le brassard de captaine dans un club comme l’Inter, c’est une immense satisfaction et la preuve que les joueurs japonais sont plus que « des joueurs polis, professionnels et travailleurs ». J’espère d’ailleurs que Osako s’imposera à Munich 1860, il pourra apprendre beaucoup là-bas.

L’Europe aide les joueurs japonais à s’aguerrir, quand ils y réussissent. Penses-tu qu’à terme, il faudrait une sélection nippone avec 100% des joueurs évoluant en Europe ?

Je parle beaucoup de l’Europe en tant que facteur d’adaptation au football mondial, mais je ne suis pas fermé aux joueurs évoluant dans le championnat local, bien au contraire. La J-league est un excellent championnat pour la post-formation (les premières années pro des joueurs de moins de 22ans). Voir des joueurs comme Yamaguchi, Kakitani ou encore Saito être régulièrement sélectionnés, c’est une preuve de la qualité de la J-league. Il en va de même pour Endo et Konno qui font une très belle carrière internationale sans avoir quitté leur pays. Je pense vraiment qu’une sélection doit avoir une part non-négligeable de joueurs jouant au pays, ça la rend plus authentique, moins sujette à une perte de la réalité. Les sélections composées de 100% d’expatriés ont très souvent été un désastre. Récemment, la Zambie et le Nigéria ont montré que les joueurs locaux apportent un supplément d’âme qui fait la différence. Dans la même idée, le Mexique à réussi à se redresser et se qualifier pour la Coupe du Monde en s’appuyant sur des joueurs locaux. Ce n’est pas anodin.
Mais voilà, local ne veut pas dire autarcie. Un joueur local doit être « formé » à l’opposition internationale, différente. C’est pourquoi l’ACL doit être prise au sérieux.

Rendez-vous dimanche prochain pour la troisième partie de l’interview !

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