Troussier, tout sur le sorcier : partie 1

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Pierre Renard (MC – Maître de Cérémonie) : Pouvez-vous faire un point sur ce que vous faites actuellement au Japon ? Pourquoi vous êtes là en ce moment et comment se passe votre parcours sportif ?

Philippe Troussier : Comme tout le monde le sait, j’ai surtout eu une bonne expérience sportive, culturelle et humaine que j’ai vécue ici il y a une dizaine d’années. Je suis arrivé ici en 1998. J’arrivais du continent africain et on m’avait confié les rennes de la sélection nationale et l’objectif, c’était de conduire cette sélection japonaise à la Coupe du Monde 2002, que le Japon organisait en collaboration avec la Corée du Sud.

Ça a été pour moi une aventure complètement folle, riche en émotions et également sur le plan du management puisque j’ai eu l’occasion de manager 3 différentes catégories : les moins de 20 ans, les Olympiques et les A. Ce qui m’a permis de constituer un grand laboratoire pour y passer tous ces joueurs et d’essayer de les amener à transformer leur attitude, puisque le challenge était un challenge mondial. A l’époque le « trafic » se faisait essentiellement au Japon puisqu’on sait qu’avec les distances qui existent entre l’Europe et l’Asie, il est difficile d’établir des connections pour essayer d’éduquer ces « enfants ».

Après cette belle période, en 2002, j’ai vraiment été épuisé et, pour ceux qui s’en rappellent, j’ai tout de suite été candidat pour reprendre l’Équipe de France, qui à l’époque venait de passer une mauvaise campagne en 2002 (la France avait été sortie au premier tour). Il était donc question de remplacer l’entraineur, Roger Lemerre. J’étais un des candidats et à l’époque la Fédération voulait déjà effectuer une rupture, toujours avec un entraineur français mais pas issu de la politique technique nationale…

« J’ai décidé de faire mon métier autrement. »


MC : Vous n’étiez pas de la Direction Technique Nationale…

P.T. : Voilà, je suis Français, j’avais une expérience de l’étranger… Et puis finalement je n’ai pas été choisi… Je me souviens encore des propos de Michel Platini qui me disait : « C’est parce que tu n’es pas suffisamment Français »… Il fallait un Français de France.

Mais en tout cas, j’étais assez épuisé et c’est vrai que j’ai eu du mal à me remobiliser. D’ailleurs, si vous regardez mon parcours depuis 2002, j’ai fait une année, difficilement, la sélection du Qatar, j’ai fait six mois à Marseille et puis ça s’est arrêté là. J’ai vraiment eu du mal à me replonger… Alors j’ai eu des offres assez importantes de différents pays, dont des pays comme la Corée ou la Chine, pour rester en Asie, mais j’ai eu vraiment des difficultés à me remobiliser.

Et je dirais que, depuis 2002, j’ai fait un choix de vie. C’est à dire qu’aujourd’hui j’ai décidé de faire mon métier autrement, peut-être pas sur le terrain à proprement-dit; et c’est ce qui m’a amené à accepter une proposition qui m’est venue il y a 3 ans du Japon. Je voulais revenir mais je ne savais pas comment. Et là, j’avais l’occasion d’y revenir et on m’a proposé un projet de participer ou de m’associer à un projet de développement d’Okinawa.

Okinawa, c’est une petite île qui appartient au Japon mais qui ne lui appartenait pas et qui lui a été rendue en 1972 puisqu’ils étaient sous tutelle américaine suite à la guerre. Et donc le projet, c’est de m’associer au développement de cette île, où il n’existe pas du tout de compétition, pas de (gros, NDLR) club… Et à travers un petit club, c’est de le faire accéder à l’échelon supérieur dans les années qui viennent. Donc voilà la raison pour laquelle je suis revenu au Japon.

MC : Vous êtes d’ailleurs ambassadeur pour la promotion du tourisme d’Okinawa.

P.T. : Alors, comme vous avez pu vous en douter, je bénéficie d’une certaine image ici, au Japon, et celle-ci est liée, bien évidemment, à l’action que j’ai menée en 1998-2002. Mes supporters (en général ce sont plutôt des supportrices) vont de 7 à 77 ans et ce ne sont pas simplement des gens issus du football. Alors bien-sûr j’ai agrandi ma base de supporters puisque, vu qu’à Okinawa les gens vivent très longtemps, je dirais que mes supporters vont maintenant de 7 a 135 ans !

Donc voilà, je suis revenu à Okinawa et il y a quelques mois, le gouvernement Japonais m’a donc mandaté comme ambassadeur pour établir les relations pour que les touristes étrangers puissent venir au Japon. Et moi, j’ai la chance de m’occuper d’Okinawa dans le domaine du sport, c’est à dire de réfléchir à organiser des évènements sportifs. Alors j’ai l’idée d’amener une étape du Tour de France ici, ou en tout cas de créer une course cycliste ici. J’aurais peut-être l’occasion que des gens me donnent un coup de main à ce niveau-là mais je pense que c’est une bonne idée, avant le Tour de France ou après le Tour de France, de créer un criterium ou une course en ligne ici en partant de Tokyo… En plus on pourrait faire visiter Tokyo à travers les média (Tokyo est une très belle ville). Pourquoi pas aussi le faire en pleine nuit ?!

MC : Il y a déjà un triathlon qui a lieu à Chiaki… ou du moins à Okinawa.

P.T. : Oui, c’est vrai…

« Voilà, on voudrait changer Anigo, ça marche pas… »


MC : Marseille, comment c’était comme expérience ? Ça doit être incroyable d’arriver dans le Vélodrome…

Un supporter olympien, dans le public : Allez l’OM !

P.T. : Je ne suis pas surpris d’entendre « Allez l’OM ! » parce que j’ai découvert quand j’étais entraineur de l’OM que, partout où on pouvait aller en France, l’OM c’est vraiment le club des Français.

Ce qui est curieux, au moment où je me suis mis d’accord avec l’OM, j’allais signer à Kobe. Donc je m’étais mis d’accord avec Kobe et je prenais l’avion. Et je reçois un coup de téléphone de Pape Diouf, qui à l’époque était le directeur sportif, et qui me dit : « Voilà, on voudrait changer Anigo, ça marche pas… » Alors moi qui suis habitué à la « mafia africaine » (puisque Pape Diouf est Sénégalais)…

Je vois qu’il y a des gens d’origine africaine ici… Je peux dire que, si je suis ici aujourd’hui, c’est quand-même grâce au travail que j’ai pu effectuer en Afrique et c’est là que j’ai gagné ma reconnaissance internationale puisque j’ai fait la Coupe du Monde avec l’Afrique du Sud. Si la France est championne du monde, elle peut me remercier quand-même… Il ne faut pas oublier qu’elle a gagné 3-0 en ouverture contre l’Afrique du Sud dont j’étais l’entraineur et dont un des défenseurs (Pierre Issa, NDLR) avait quand-même marqué deux buts contre son camp ! C’est louche. Je l’ai dit à Aimé Jacquet : « Si tu es champion du monde, tu peux me remercier ! »

MC : Il avait effectivement besoin d’un match de confiance…

P.T. : Je me souviens, le match était à Marseille et il y avait un froid et un vent pas possible, comme on les connait à Marseille. Moi, j’aime bien un peu provoquer les gens et avant le match contre l’Équipe de France, j’avais demandé à mes Sud-Africains de chanter des chants zoulous assez agressifs… Mais après coup, pour en avoir discuté avec les joueurs français, ils me disaient : « Cette chanson-là, ça nous a tellement fait peur que ça nous a mobilisés. » Alors qu’ils avaient, pour reprendre une expression française, « 40 de fièvre ». Ils avaient peur de jouer contre l’Afrique du Sud et, moi en tant que Français, ils s’attendaient à un coup pas possible et donc, ils avaient été hyper-motivés, ce qui fait qu’ils nous ont battus.

« Je devais me mettre pieds-nus et je devais les tremper dans une bassine de sang d’un mouton qu’on venait d’égorger ! »


MC : Vous avez entrainé les Kayser Chiefs aussi…

P.T. : J’ai entrainé les Kayser Chiefs…

MC : C’est pas les champions de la vuvuzela là-bas?

P.T. : Pas à l’époque, non. Mais c’est d’ailleurs à cette occasion que j’ai rencontré Nelson Mandela. Je suis arrivé en 1994 aux Kayser Chiefs, Nelson Mandela est arrivé au pouvoir en 1995. C’est à cette occasion qu’il avait organisé un match Liverpool contre les Kayser Chiefs, qu’il était venu voir. On avait fait 0-0, on ne pouvait pas perdre, ce jour-là, c’était pas possible.

Pour rester en Afrique du Sud, je suis revenu après en 1998 pour conduire la sélection des Bafana-Bafana en France et c’est là que j’ai été reçu en personne par Nelson Mandela. On a discuté quelques minutes et il m’a demandé de tout faire pour que cette équipe soit la plus représentative et j’ai même une belle lettre de sa main qui me transmet tous ses encouragements, pour la petite histoire.

J’ai aussi été baptisé par son ex-femme, Winnie Mandela. On connait le passé de Winnie Mandela… Un baptême zoulou, c’est quand-même assez exceptionnel parce que je devais me mettre pieds-nus et je devais les tremper dans une bassine de sang d’un mouton qu’on venait d’égorger ! Vous imaginez un peu l’image devant Winnie Mandela… Voilà comment j’ai été baptisé à la zoulou par Winnie Mandela.

MC : Retour au Japon, un petit peu : racontez-nous votre arrivée au Japon en 1998, les premières prises de contact avec les joueurs, comment c’était ?

P.T. : Alors la première prise de contact… Il faut savoir que pour entrainer au Japon, il faut déjà avoir réussi quelque part et il faut faire partie d’une nation qui, elle aussi, a réussi. La France étant championne du monde, moi-même étant un entraineur-sélectionneur de l’Afrique du Sud, il est clair qu’il leur fallait un Français. Pour expliquer comment ça fonctionne au Japon et pour vous donner une image plus complète, le premier objectif de la fédération japonaise cette année, c’était de prendre un Espagnol, pour montrer ce lien avec ce qui se fait de mieux à ce moment précis.

Donc voilà, j’étais un candidat sérieux : j’avais fait une Coupe du Monde, j’étais sur place, ils cherchaient un Français… Le premier contact se fait d’une façon un peu informelle. Comme souvent au Japon, on rencontre quelqu’un, on pense que c’est pas important et puis finalement c’est très important. Trois mois après, pour que les choses puissent se décider, j’ai été invité ici, au Japon, pour encore participer à des « réunions informelles »… en incluant bien-sur le karaoké, puisque c’est là que se décident les choses finalement. Alors que le Français à tendance à se dire : « J’ai un avion la semaine prochaine, j’aimerais bien qu’on puisse se décider rapidement. » Il faut savoir que c’est très agressif comme méthode et que ce n’est pas comme ça que vous faites des affaires. Les affaires se font beaucoup plus dans un côté un peu plus informel… si on vous invite à faire une partie de golf ou si on vous invite à diner ou au karaoké. Même si le gars est debout sur la table avec la chemise sur la tête, il faut savoir que c’est aussi important. Moi, je ne connaissais pas tout ça et, en plus, je chante faux ! Mais j’ai quand-même fait le maximum d’efforts et je me suis retrouvé à la tête de la sélection nippone comme ça.

« A Marseille, ils pensaient que j’arrivais en béret vert et en parachute sur la Commanderie. »

MC : Alors les premiers pas… On vous a taxé d’autoritarisme, on a dit que vous utilisiez des méthodes anormales, etc. Par contre, après les premiers succès à la Kirin Cup…

P.T. : C’est vrai qu’on me donne une image de quelqu’un de très autoritaire et souvent très militaire. A Marseille, ils pensaient que j’arrivais en béret vert et en parachute sur la Commanderie ! C’est l’image qu’on me donne et j’ai beau essayer de leur dire que ce n’est pas comme ça que ça se passe… Mais cette image, finalement, elle est assez intéressante pour moi puisqu’il vaut mieux être pris comme quelqu’un de très dur, très difficile, très caractériel, plutôt que quelqu’un de très mou. Donc ça me donne une possibilité de, quand je rentre dans la salle, personne ne parle, tout le monde est assis et ils écoutent. Pour moi, c’est un grand avantage dans le rapport de force.

Dans mon métier, le rapport de force est très important. C’est pour ça qu’il vaut mieux être grand que petit dans les relations humaines que vous avez lorsque vous devez gérer, manager des êtres humains, surtout dans des clubs européens. Quand je vois par exemple en France, j’ai découvert la psychologie. Parce que moi, j’ai surtout officié en Afrique, en Asie, où on ne se soucie pas trop des relations humaines. On a une relation de terrain, une relation d’exécution. Les joueurs sont soumis à des décisions et à des choix et en général on n’est pas trop contraint à expliquer le pourquoi. Tout d’abord parce que vous êtes confronté à la notion de la langue, avec un intermédiaire, et c’est jamais facile de rentrer en contact direct avec l’affectif des hommes.

Par contre, quand on est dans un système français, vous êtes confronté à l’affectif des hommes, c’est à dire que le joueur a besoin que vous lui dites que vous l’aimez, par exemple. Et si vous lui dites que vous l’aimez, il va jouer. Et si vous l’aimez pas, il ne va pas jouer. Alors, j’ai passé à Marseille des heures et des heures dans les chambres des joueurs en les prenant par la main à leur dire : « Alors, mon amour, mon chéri, est-ce que tu crois que tu vas pouvoir jouer malgré ta rémunération très importante ? Est-ce que tu penses que tu vas pouvoir sortir du vestiaire pour pouvoir faire deux ou trois pas? » Il faut savoir que c’est comme ça que ça se passe. Et puis si j’ai utilisé une autre méthode, c’est à dire une méthode plus directive comme le font les Italiens et comme le fait d’ailleurs Didier Deschamps, qui est confronté à des problèmes, essentiellement dans la relation humaine, alors que Laurent Blanc a compris qu’il fallait avoir une relation différente… Donc en Europe, en France, j’ai été confronté à et j’ai découvert une certaine psychologie pour essayer de bluffer le joueur pour qu’il puisse être en confiance.

La suite, demain !

Séquence audio n°1 :

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