La genèse de la J.League : partie 3

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En 1993, en partenariat avec la JFA, Saburo KAWABUCHI lança triomphalement la J.League, premier championnat de football professionnel au Japon. Succédant au piètre amateurisme de la JSL, ce projet fut un véritable pari pour ses organisateurs qui eurent à faire face à de nombreux défis comme la concurrence des entreprises ou encore la modernisation des infrastructures en une période relativement courte. Quelles ont été les clés du succès dans un pays jusque là dominé par le baseball ? Surtout, pourquoi avoir mis sur pied une telle organisation ? A l’heure où se joue sa 16e saison, Nippon-Ganbare se propose de revenir sur la genèse de la ligue qui aura permis d’accomplir la métamorphose du football nippon au cours de la dernière décennie et qui demeure encore aujourd’hui son épine dorsale.

’’Le temps de la médiatisation’’

Gary Lineker a Nagoya (une de Soccer Magazine du 1er octobre 1992)

Cerise sur le gâteau, les équipes étaient prêtes à recruter des stars étrangères pour être en phase avec la politique « internationale » de la ligue et la nouvelle image que les investisseurs voulaient se donner au Japon : moyennant finance (c’est-à-dire de juteux contrats frisant les millions de dollars), chaque club pourra accueillir trois joueurs célèbres, souvent en fin de carrière mais qui ont marqué l’histoire du football et qui marqueront certainement celle du football japonais en particulier. Cette limite de trois joueurs (qui s’applique également aux titulaires en match) s’expliquait par le souvenir de l’échec qu’a constitué la North American Soccer League dans les années 1970 aux Etats-Unis et qui elle aussi a misé sur des stars internationales à ses débuts (Pelé, Beckenbauer…) mais sans préciser de limite pour les effectifs. Au final, les stars avaient complètement annihilé les joueurs locaux et les jeunes formés par les clubs n’arrivaient pas à intégrer les équipes premières. La J.League a voulu éviter ce syndrôme en misant précisement sur un équilibre favorable à l’éclosion de talents locaux et qui garantirait malgré tout une certaine qualité de jeu.

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Chaque équipe aurait donc sa star : ZICO, le légendaire « Pelé blanc », pour Kashima ; Ramon DIAZ, ancienne gloire de la sélection albiceste, pour les Yokohama Marinos ; Gary LINEKER, meilleur buteur anglais de la Coupe du Monde 1986, pour Nagoya ; Pierre LITTBARSKI, vainqueur de la Coupe du Monde 1990 avec la RFA, pour Ichihara…Difficile de passer outre pour un fan de football tant cela semblait être une sorte de catalogue d’anciennes stars de Coupe du Monde.

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Autre innovation : la J.League annonça qu’elle se fonderait sur le nombre de billets vendus pour annoncer les affluences plutôt que de reprendre la pratique établie par les équipes de baseball qui déclaraient des affluences « moyennes » dépassant parfois la capacité de leurs stades (!), en vue d’attirer le plus grand nombre de spectateurs possible. C’était tout simplement du jamais vu au Japon et de nombreux débats eurent lieu par la suite dans la presse sportive pour discuter de la viabilité d’un tel système aujourd’hui.

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De fait, avec de tels coups d’éclat, les préparatifs de la J.League passèrent difficilement inaperçus aux yeux des médias et de l’opinion public nippone…L’effet de nouveauté aidant, les Japonais semblaient s’enthousiasmer pour l’immense chantier agencé par KAWABUCHI. Mieux encore, ils en étaient passionnés. Lorsque la ligue organisa sa première conférence de presse pour présenter les équipes, près de 440 médias différents étaient présents pour couvrir l’évènement, ce qui propulsa automatiquement la J.League en une des journaux télévisés et autres tabloïds. De même, plusieurs centaines de personnes avaient attendu l’ouverture de la première boutique officielle à Tokyo (nommée « CATEGORY-1 », en référence à la catégorie des meilleures places dans les stades européens), incitant la J.League a en ouvrir une centaine d’autres à travers le pays en sus d’une centaine de relais locaux, et ce plusieurs mois avant même le lancement officiel du championnat. La Yamazaki Nabisco Cup, qui devait servir de « répétition générale » pour les équipes en 1992, avait attiré 533 345 spectateurs avec une moyenne de 11 111 sur les 48 matches de la compétition qui furent joués.

La J.League avait dépensé 500 millions de yen (env. 300 000 €) en termes de publicité pour promouvoir son projet entre 1991 et 1993, mais KAWABUCHI calcula qu’il fallait y ajouter le coût de la couverture médiatique qu’il estimait à 200 ou 300 millions de yen (entre 120 et 180 000 €) par jour dans les trois mois précédant le lancement. Ce qui ramenait à un total proche de 10 ou 20 milliards de yen (entre 60 et 120 millions d’euros) digne d’être qualifié de « publicité gratuite ». A cela s’ajoutait les publicités des sponsors qui produisaient l’effet « J.O. » escompté : l’équipementier Mizuno avait notamment réalisé un spot où l’on pouvait voir un célèbre manzai (duo comique) « supplier » la J.League de commencer.

A ce stade, cela dépassait les espérances les plus folles des organisateurs et lorsque la J.League ouvrit la billetterie pour le match inagural, 306 269 personnes s’étaient rués à travers les guichets de tout le pays pour tenter d’obtenir le précieux sésame. Il n’y avait évidemment « que » 50 000 places disponibles.

Le très recherché ticket pour le match inaugural

Leurs détenteurs purent assister à un spectacle d’une rare qualité au Tokyo National Stadium le 15 mai 1993 : la cérémonie d’ouverture était en effet digne de celle qu’auraient pu avoir de quelconques Jeux Olympiques. La J.League offrit un véritable déluge d’effets pyrotechniques et lumineux en tous genres pour célébrer ses débuts avec panache. Elle avait pris soin de recruter le guitariste-star Michiya HARUHATA (membre du groupe pop TUBE), qui avait composé l’hymne officiel de la J.League, pour mettre le tout en musique, si bien que l’évènement sportif semblait prendre des allures de concert rock. S’ensuivit le discours de son président fondateur Saburo KAWABUCHI et enfin l’entrée des deux équipes de la soirée sur le terrain, Verdy Kawasaki et les Yokohama Marinos, dans un stade comble coloré en rouge, bleu et vert. Un compte à rebours s’enclencha jusqu’au coup d’envoi. Outre Dettmar CRAMER (l’un des « pères » du football japonais), on pouvait apercevoir dans les tribunes des grands noms du monde du football comme João HAVELANGE (président de la FIFA), son secrétaire général Sepp BLATTER, PELE (roi du football brésilien)…

Le speech d’ouverture de Saburo Kawabuchi, président de la ligue

Le temps du football terne et démodé de l’époque de la JSL semblait alors bien lointain aux yeux de tous : le football japonais avait accompli sa mue avec succès en un temps record. En 1992, KAWABUCHI avait prévenu les investisseurs potentiels qu’ils devaient s’attendre à un milliard de yen de pertes par an (env. 6 millions d’euros) sur les dix premières années. Fin 1993,  trois clubs (Gamba Osaka, Shimizu S-Pulse, Sanfrecce Hiroshima) présentaient déjà des comptes excédentaires.


Sources :

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