Interview : Kenji ONITAKE

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Elu successeur de Masaru SUZUKI à la présidence de la J.League en juillet 2006, Kenji ONITAKE est loin d’être une figure inconnue du monde du football nippon.

Agé de 69 ans, ce natif d’Hiroshima a étudié à l’université de Waseda où il a pu côtoyer le football universitaire aux côtés de joueurs tels que Ikuo MATSUMOTO, future figure des sélections espoirs et manager à succès de petites équipes de J.League. Après ses études, il rejoint Yanmar en 1962, entreprise spécialisée dans la motorisation basée à Osaka. Il prendra une part active dans l’équipe de football amateur en tant qu’ailier droit. En 1967, il y devient son entraîneur : c’est le début d’une ère de succès pour Yanmar jusqu’en 1977, marquée par trois Coupes de l’Empereur et autant de championnats de JSL ainsi qu’une Coupe de la Reine en Thaïlande. ONITAKE y dirige des joueurs célèbres comme Kunishige KAMAMOTO, Nelson YOSHIMURA ou encore Eizo YUGUCHI. En 1978, il met un terme à sa carrière d’entraîneur pour occuper différents postes à responsabilité au sein du groupe Yanmar.

Finalement, en 1993, Kenji ONITAKE devient président du Osaka Soccer Club, futur Cerezo Osaka qui deviendra membre de la J.League en 1995. En 1996, il est fait directeur de la J.League avant d’être nommé président du Cerezo Osaka en 2000. Il se retirera de la présidence en 2004 pour se consacrer à son nouveau rôle de vice-président de la J.League la même année. Le comité des directeurs l’élit président de l’organisation le 15 juillet 2006. Il promet alors de « continuer dans le chemin tracé par ses prédécesseurs » dans le plan des 100 ans tout en apportant une attention particulière aux « jeunes joueurs » et aux communautés créées par les clubs.

Le 11 mars 2007, il répondait aux questions de James MULLIGAN du Japan Times, grand quotidien japonais anglophone.


The Japan Times : A quel niveau se situe la J.League en termes de potentiel ? Quelle progression pourrait-elle avoir ?

Kenji ONITAKE : Pour vous donner l’exact nombre de spectateurs présents aux matches du championnat l’an passé [NDM : en 2006], il y a eu 8 363 963, ce qui signifie en moyenne 58 % de taux de remplissage des stades en J1 et un peu moins de 40 % pour ceux de J2. L’objectif pour la J.League est d’atteindre 11 millions de spectateurs d’ici 2010.

Quelles sont les mesures les plus importantes devant être prises pour développer la J.League ?

La chose la plus importante est d’enraciner chaque club dans la communauté. Le club doit faire partie de la vie de la communauté, quelque chose qu’ils ne peuvent pas se permettre de perdre dans leur vie. Dans la communauté, nous favorisons le développement d’un environnement que nous pouvons appeler « académie » où les jeunes, de leur plus jeune âge jusqu’à 21 ans, peuvent trouver plaisir dans le sport. Le football devrait être un de ces sports. Nous ne pensons jamais à entrer en compétition avec les autres sports.

Nous visons à faire grandir les plus jeunes à travers la communauté. Tous ne doivent pas nécessairement jouer au football.

Vous avez souligné le besoin pour les clubs, les joueurs et la ligue de développer leurs caractéristiques dans la J.League afin d’améliorer et de développer des joueurs qui puissent rivaliser au niveau mondial. Pouvez-vous nous en dire un peu plus à ce sujet ?

Chaque personne a sa propre individualité. L’individualité, c’est le caractère ou la personnalité ou le point fort d’une personne. Tout le monde l’a naturellement. Ce que nous disons, c’est développer votre individualité, posséder quelque chose que d’autres personnes n’ont pas ou ne peuvent pas faire. Il en va de même pour la communauté : chaque communauté et chaque personne y vivant a une individualité. La qualité de la communauté varie. Osaka a sa propre personnalité, même chose pour Hokkaido et Kyushu.

L’individualité de la J.League est le caractère de la nation japonaise. En développer les « bonnes » choses du Japon, nous pouvons nous montrer au monde.

Quelles mesures au niveau de la jeunesse la ligue et les clubs prennent-ils pour développer la prochaine génération de stars qui puissent surpasser les performances de gens comme Shunsuke NAKAMURA et Hidetoshi NAKATA ?

Au Japon, il y a toujours de la compétition à tous les niveaux du football, de l’école élémentaire à l’université. Des compétitions à l’élémentaire à celles de l’université ou en entreprise. Mis dans une équipe, les Japonais veulent toujours gagner, même s’il s’agit du football au primaire.

Gagner collectivement est la chose la plus importante pour eux, leur mission. Toujours gagner, gagner, gagner. Et jamais ils ne se lasseront de la compétition d’ici l’âge adulte. Nous pensons que les objectifs des jeunes doivent être de gagner au plus haut niveau comme adultes et non pas d’essayer de gagner à chaque étape. On ne doit pas les centrer sur l’idée d’essayer de gagner avant de devenir adultes. La ligue a essayé d’entretenir la jeunesse dans chaque communauté et la victoire n’est pas importante à ce stade. Ensuite, ils iront dans le club de la ligue de leur communauté comme adultes et essayeront de gagner.

Le manager du club de tête doit penser à gagner. Mais d’ici là, faire grandir les plus jeunes est plus important que simplement essayer de gagner. Les équipes japonaises de jeunes de dix ans peuvent battre l’Allemagne, la France et d’autres clubs européens. Leurs équipes sont faibles. Mais pour les adultes, ils battront le Japon. Pourquoi ? Ils font un entraînement individuel. Mais nous faisons vraiment de l’entraînement collectif et c’est une erreur.

Pour les plus jeunes, la technique et la tactique individuelle sont importantes. Mais les entraîneurs essaient de les adapter à l’équipe. Cependant, les choses changent.

Le futsal (moins de joueurs, terrains plus petits) et des parties réduites sont très efficaces chez les jeunes.

La ligue et la JFA organisent toutes sortes de football. Certaines communautés sont guidées par la J.League et d’autres par la fédération. Nous sommes en étroites relations.

Cet automne [2007], nous aurons le nouveau championnat de futsal. Vous pouvez jouer au futsal n’importe où, même sur des cours de tennis ou sur les toits des immeubles. Les enfants regardent les adultes jouer à ce sport et ils y joueront aussi. En le pratiquant, ils pourront améliorer leur technique.

Par conséquent, le Japon peut-il développer de futures superstars qui peuvent jouer régulièrement pour des grands clubs tels Manchester United, le Real Madrid ou Barcelone dans les années à venir ?

C’est une question difficile. Il y a quantité de futurs [Carlos] TEVEZ ou [Lionel] MESSI au Japon. La chose la plus importante est de savoir comment les encadrer pour qu’ils deviennent les futures stars.

Je crois qu’il y a beaucoup de potentiel parmi les enfants de dix ans. Nous avons besoin d’entraîneurs qui puissent détecter leurs qualités et les diriger correctement.

Cette année [2007], de très jeunes joueurs sont allés en Europe : Sho ITO (18 ans) [Grenoble, en France], Tsukasa UMESAKI (20 ans) [idem]. Ils ont grandi après la création du championnat. Aussi dans dix ans, la situation sera très différente. Peut-être dans dix ou vingt ans, j’espère (rires)…Mais sérieusement, c’est pas à pas.

N’êtes-vous pas inquiet en voyant des joueurs comme ITO et UMESAKI allant directement en Europe et ne jouant pas en J.League ou seulement une saison ou presque ?

Les joueurs talentueux peuvent venir dans le championnat ou partir jouer ailleurs en sautant la case J.League. C’est bien, mais je ne veux pas voir tous les joueurs quitter le Japon cependant (rires).

Il semble y avoir beaucoup de jeunes joueurs japonais coupables de ne pas exploiter leur potentiel de départ. Pensez-vous qu’ils soient des stars quand ils accèdent à la J.League et ainsi perdent de leur motivation pour s’améliorer parce que dans leur esprit ils ont déjà « atteint leur but » ?

Si c’est le cas, je suppose que peut-être ils pensent qu’ils peuvent faire un break durant leur progression mais ils ont tort de faire cela ou leurs entraîneurs ont tort de les autoriser à faire cela. Cela pourrait continuer à se produire pendant un certain nombre de saisons mais cela doit se résoudre. Il pourrait s’avérer vrai que certains joueurs arrêtent de s’améliorer tandis que d’autres continuent. Cela dépend de chaque joueur. C’est là où je pense que le championnat japonais n’a pas autant de vécu que les championnats européens.

Il y avait davantage de joueurs de cette sorte auparavant parce que nous n’avions pas de championnat professionnel. Le championnat amateur était leur seul but. Et maintenant ils ont un « grand » but dans la J.League : celui de jouer comme professionnel dans le Japon ou dans le monde.

L’ancien entraîneur des Urawa Reds, Guido BUCHWALD, a déclaré que le championnat nippon était le « 5e championnat du monde en termes de qualité et de compétitivité » (après l’Angleterre, l’Espagne, l’Italie et l’Allemagne). Qu’en pensez-vous ?

Tout d’abord, je veux savoir qui est le numéro 6 ou 7. Nous sommes heureux d’entendre cela. Il y a beaucoup de valeurs dans chaque championnat. La valeur des matches, les liens avec la communauté, la gestion des clubs, la couverture médiatique. Je pense que le rang doit être fondé sur la somme de tous ces paramètres.

Nous sommes contents de cette évaluation. Mais en même temps, il y a encore un certain fossé entre les quatre premiers et le numéro 5. Nous avons besoin de faire un effort concerté pour réduire ce fossé.

Qu’est-ce que la J.League peut apprendre des autres championnats dans le monde ?

Deux ou trois ans avant le début du championnat en 1993, nous avons commencé à préparer le lancement du championnt professionnel. Mais le football japonais a environ 80 à 100 ans d’histoire. Avant d’établir la J.League, nous avions étudié la gestion des sports en Europe et aux Etats-Unis [cf. dossier sur la genèse de la J.League, partie 2]. Surtout les quatre sports principaux en Amérique du Nord.

En Europe, le football a plus de 100 ans d’âge. Aussi nous avons étudié le développement et l’évolution du football là-bas.

Est-ce que l’introduction d’un championnat en une phase a amélioré la J.League ? Y a-t-il un danger qu’il devienne moins compétitif avec de grands clubs que le Gamba Osaka et les Urawa Reds gagnant chaque année et les autres clubs laissés derrière ?

Nous avons décidé d’adopter le système en une phase [en 2005] en regardant les tendances des championnats dans le monde et affirmé que la compétition doive continuer toute la saison.

Cela dessert certains clubs dans un premier temps. Mais nous devrons travailler dur pour réduire le fossé. Par exemple, dans un championnat à 18 équipes, les six premiers luttent pour le titre et les six derniers pourraient être rétrogradés en 2e division. Les six autres vont dans l’une ou l’autre direction. La chose importante est de faire un effort pour diminuer l’écart entre ces trois catégories. En le faisant, nous pouvons aider l’équipe nationale à rivaliser au haut-niveau mondial. Et la gestion des clubs peut aussi y contribuer.

Pourquoi pensez-vous qu’il y a tant de joueurs brésiliens dans le championnat nippon ? Aimeriez-vous voir un mélange équilibré de joueurs étrangers en J.League ?

Au début de la J.League, nous avions un lien avec les joueurs brésiliens et cela pourrait être une des raisons. Le Japon pourrait être un environnement où de jeunes brésiliens savent qu’ils auront beaucoup de possibilités de bien jouer. En Europe (Angleterre, Allemagne, Italie, Espagne), les gens grandissent et veulent jouer dans leur pays. C’est leur manière de penser. Ils se déplacent à l’intérieur de l’Europe. Ils ne sont pas familiers du Japon et de sa culture. Les enfants ne savent pas qu’il y a un championnat au Japon.

Les Brésiliens, même les enfants, connaissent bien le pays. Nous avons beaucoup de Japonais-brésiliens de 2e génération. Nous avons l’histoire de personnes ayant émigré au Brésil pour y travailler. Il y a donc une relation convenable entre les deux pays. De plus, les joueurs brésiliens sont doués, rapides et malins. Et les Japonais adorent leur style de jeu.

Le championnat japonais a attiré certains des joueurs les plus célèbres du monde dans les années 1990. Mais maintenant cela s’est tari. Récemment, les Los Angeles Galaxy de la MLS ont fait signer David BECKHAM. Quelle est votre opinion sur la signature de grands noms dans le championnat japonais ?

Je pense que la J.League a besoin de grands noms étrangers. Mais nous devons aussi nous intéresser à la gestion des clubs. Cela pourrait être contre notre de slogan de « donner aux jeunes des rêves ». Et c’est très important de nous occuper sérieusement du management des clubs. A court ou moyen terme, nous avons besoin d’envisager d’amener de grands noms dans le championnat japonais. Mais de grands noms demandent beaucoup d’argent. Aussi, avant de les amener, nous avons besoin de faire grandir chaque club. Plus chaque club grandit, plus les grands noms peuvent jouer au Japon. Plus de grands noms jouent ici, plus de personnes viennent au stade pour les admirer et cela fait grandir les clubs.

Il est difficile de juger le moment opportun pour les amener. Si nous le faisons maintenant, nous pourrions revenir au stade du championnat amateur. Cependant, à l’avenir, il serait bien que nous ayons de grands joueurs non seulement célèbres mais aussi ceux qui ont d’excellentes qualités. Il y en avait beaucoup qui avaient de grands noms mais qui avaient de piètres qualités dans le passé (rires).

S’agissant de BECKHAM, combien gagne-t-il ? Je crois savoir qu’il gagne 6 milliards de yen par an. C’est ce que gagnent les Urawa Reds, le club japonais le plus supporté, en une année. Le plus grand club de la Premier League gagnera 45 milliards de yen par an.


Propos rapportés par James MULLIGAN. Traduit de l’anglais.

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